Revoir Clara est un véritable baume pour le coeur, davantage aujourd’hui alors que je me sentais terriblement seule après que Stefan ait refusé de prendre ne serait-ce qu’une heure de pause pour qu’on profite de la fête ensemble. Je chasse aussitôt ce mauvais souvenir pour me concentrer exclusivement sur mes retrouvailles avec ma meilleure amie que je serre chaleureusement dans mes bras avant de lui confier qu’elle m’a véritablement manqué.

- "Tu arrives juste à temps ! Toi aussi tu m'as manquée !" m’avoue-t-elle en me retournant mon étreinte. Je souris, me sentant euphorique à cet instant. Que c’est agréable de retrouver celle avec qui je partage tout depuis si longtemps ! C’est comme si je me sentais à nouveau entière maintenant qu’elle est là. Je considère Clara comme ma sœur et rien n’a jamais su nous séparer au fil des années, pas même les dangers, la guerre ou la distance.

Lorsque nous nous relâchons, je fais preuve de politesse en me présentant à la jeune femme avec qui Clara discutait avant mon arrivée. Je ne la connais pas et à première vue elle me semble sympathique. Néanmoins, je sais d’expérience qu’à Fairbanks, il ne faut jamais se fier aux apparences…

Clara s’empresse donc de finir les présentations et m’explique au passage les circonstances de sa rencontre avec la jolie blonde. Une mésaventure qui les a finalement amenés à sympathiser et à discuter. - "Oh voici Gabriela... Enfin je vous laisse vous présenter ! On vient de se rencontrer en fait, j'ai bien failli ruiner sa robe avec ma limonade ! J'étais en train de dire à Gabriela que je n'avais pas célébré le jour d'indépendance ici depuis longtemps, je pense même que la dernière fois c'était à la fin du lycée..." me rappelle Clara et un frisson incontrôlable me parcourt l’échine à ce simple souvenir. Nos regards se croisent et pas besoin de mots pour partager notre ressenti vis-à-vis de cette terrible nuit…

Gabriela me ramène dans le présent en me saluant officiellement et je reporte mon attention sur elle. - Bonjour Sofia ! Je suis ravie de vous rencontrer toutes les deux. Je dois bien avouer pour ma part que je n’ai pas non plus l’habitude de célébrer le 4 Juillet, d’ordinaire je suis plutôt enfermée dans une salle d’opération ! nous apprend à son tour la jeune femme.

"Oh ! Tu es médecin alors !" m’exclamé-je en repensant aux nouvelles que j’ai découvert quelques semaines plus tôt. "J’ai appris aux infos qu’il y avait eu une attaque le mois dernier à l’hôpital ! Ça a fait la Une des journaux !" me rappelé-je. Je me souviens également que ce n’est pas la première fois que le Fairbanks Memorial Hospital est pris pour cible. C’est effrayant de constater que certaines personnes n’ont aucun scrupule, au point de s’en prendre à un lieu où on tente de sauver des vies.

"Mais les criminels n’ont qu’à bien se tenir maintenant que Clara est là !" ajouté-je pour re-détendre l’atmosphère. En effet, ma meilleure amie travaille désormais comme criminaliste informatique spécialiste du paranormal dans l’unité de police de Stefan et je sais que ses talents vont beaucoup apporter à notre ville.

La simple allusion au drame du quatre juillet de notre dernière année de lycée à Sofia et moi, aurait pu directement plomber l'ambiance. Mais heureusement, Gabriela était là pour nous faire penser à autre chose. Je me notais mentalement de me forcer à la tutoyer comme elle me l'avait proposé, j'avais toujours un peu de mal avec les personnes que je connaissais à peine.

La jolie blonde se présenta en bonne et due forme à Sofia avant de nous apprendre ne pas sortir beaucoup, étant plutôt du genre à rester confinée dans une salle d'opération. Si je ne saisis pas tout de suite ce qu'elle voulait dire par là, mon amie fut un peu plus vive d'esprit en réalisant que notre interlocutrice devait certainement être médecin. Et oui, ça tombait sous le sens ! Je ne savais pas trop ce que je m'imaginais !

Sofia s'inquiéta également d'une attaque qui avait eu lieu à l’hôpital quelques semaines plus tôt. Il me semblait en avoir entendu parler au poste de police, mais c'était avant mon retour définitif. Bon sang, je n'avais pas pensé que l'évènement ait pu être aussi marquant. J'aurais peut-être dû y réfléchir à deux fois avant de revenir à Fairbanks...

- "Mais les criminels n’ont qu’à bien se tenir maintenant que Clara est là !" fit allusion mon amie, me décrochant un sourire un peu gêné.

- "Ahah ! C'est gentil Sofia mais je ne sais pas si je suis si douée que ça ! Je viens à peine de décrocher ce boulot au département d'investigations surnaturelles de la police. Et puis je vais surtout être derrière un bureau à analyser des preuves. C'est pas comme Stefan qui lui attrape directement les criminels !" lançais en retour, préférant la jouer modeste.

J'espérais que je n'aurais pas de grosse affaire tout de suite, car je devais bien admettre que j'étais encore un peu anxieuse.

- "Je n'étais pas encore revenue complètement le mois dernier, tu étais présente à l'hôpital Gabriela, quand il y a eu cette attaque ? Ça devait être terrifiant... Je constate tout de même que la ville n'a pas tant changé que ça depuis tout ce temps. On dirait qu'il y a toujours autant de cinglés !" m'enquis-je, espérant que la jeune femme et/ou ses collègues s'en étaient remis.

J’apprécie plutôt bien ce moment partagé avec les deux jeunes femmes dont j’apprends à faire la connaissance avec entrain. L’ambiance est joviale et le contexte parfaitement favorable à nous donner envie d’en apprendre davantage les unes et les autres. Décidemment, j’ai bien fait de venir !

Sofia semble comprendre immédiatement quel est mon métier lorsque je leur explique que j’ai plutôt l’habitude d’être coincée en salle d’opération quand les festivités ont lieu d’ordinaire. Je hoche la tête en souriant, approuvant sa réflexion, mais me rembrunis aussitôt lorsqu’elle évoque l’attaque que nous avons subi à l’Hôpital il y a quelques temps déjà.  Machinalement, je porte une main à mon cou, là où se trouvait quelques semaines auparavant encore les traces de ma morsure, préférant éviter d’aborder le sujet trop longtemps et de faire remonter des souvenirs désagréables.

- Oui effectivement, nous avons été attaqués par une bande de vampire qui cherchaient à voler du sang…

Clara rebondit d’ailleurs sur ses propos et me demande si j’étais présente lors de l’attaque, ce que je n’ai certainement pas besoin de confirmer puisque ça doit sans doute se voir sur ma tête !

- Et j’assistais à une opération importante lorsque les criminels s’en sont pris à notre équipe… mais heureusement j’étais bien entourée ! L’une d’entre nous avait de quoi les neutraliser et les forces de police ont fini par capturer la plupart d’entre eux. Heureusement plus de peur que de mal !

C’était ce que je me répétais en tout cas depuis l’agression pour continuer à aller de l’avant. Je ne sais pas si les deux filles sont originaires de Fairbanks, mais une chose est certaine, elles semblent bien connaître les dangers que recèle cette ville ! J’apprends d’ailleurs que Clara travaille au département d’investigation surnaturelles et elle mentionne le prénom de Stefan ce qui m’interpelle et me fait hausser un sourcil. Je ne peux m’empêcher de l’interroger :

- Stefan ? Stefan Baker ? Nous avons eu l’occasion de travailler ensemble sur une affaire sordide… et il est doué dans ce qu’il fait ! En tout cas il a un cœur plus accroché que le mien lorsqu’il s’agit de paranormal ! Tu es bien entourée.

Je passais sous silence cette mésaventure au cours de laquelle il m’avait d’ailleurs sauvé la vie, ne voulant pas plomber l’ambiance avec d’autres histoires inquiétantes qui ne faisaient que confirmer à quel point nous vivions dans une ville dangereuse. Je n’avais d’ailleurs aucune idée des liens qui existaient entre l’inspecteur et Sofia.

- Je crois que les détraqués mentaux font intégralement partie de la ville de Fairbanks, il faut malheureusement faire avec - Ajoutais-je pour appuyer leurs réflexions.

Gabriele nous apprend qu’elle est médecin, du moins c’est ce que j’en déduis lorsqu’elle évoque une salle d’opération. Mais comme toujours, je vais trop vite en besogne et peut-être occupe-t-elle un autre poste à l’hôpital ? Il n’y a pas que des médecins dans un bloc opératoire ! Néanmoins, elle ne me corrige pas à ce sujet et acquiesce même en souriant, me confortant dans ma première idée.

J’en profite d’ailleurs pour rebondir sur l’actualité et l’attaque qui a visé le centre hospitalier le mois dernier. Ce n’est pas la première fois que cet endroit est la cible de fous furieux et je trouve affligeant de s’en prendre à une structure et à du personnel dévoués à sauver les autres ! Ce monde court à sa perte ! Heureusement qu’ils restent des gens pour se battre et corriger les injustices. Au-delà du Consulat et des être surnaturels qui œuvrent pour la paix dans notre ville, nous pouvons compter sur un service de police très investi et compétent dont les rangs ont été récemment renforcés par le retour de Clara.

Cette dernière est trop modeste alors que ses talents sont primordiaux et qu’ils permettent de résoudre plus rapidement les enquêtes. Sans des gens comme ma meilleure amie, les inspecteurs de police n’en mèneraient pas large, même si je reconnais que Stefan est très bon dans son domaine ! Néanmoins, il travaille mieux en équipe et chaque membre de son unité à son importance.

"Arrête de faire la modeste !" taquiné-je mon amie en la gratifiant d’un petit coup d’épaule affectueux.

Nous rebondissons ensuite sur le fameux incident ayant frappé l’hôpital et Gabriela nous confirme avoir assisté à la terrible scène puisqu’elle était aux premières loges ! Je m’en veux maintenant d’avoir parlé de ça, voyant que cela ravive de mauvais souvenirs chez la jeune femme. D’ailleurs, le geste de sa main ne passe pas inaperçu à mes yeux car j’ai eu pendant des semaines le même réflexe… Le cou qui brûle, la sensation qu’on nous arrache la peau… Si la plupart des humains cicatrisent bien après une morsure, ça n’a pas été mon cas, sans doute parce que j’ai du sang surnaturel en moi. Je porterai éternellement la marque d’Adam Lewinski…

Malgré son malaise, Gabriela nous explique néanmoins ce qui s’est passé et les motivations des agresseurs. Elle a eu beaucoup de chances de s’en sortir vu les circonstances.

"Désolée pour ce qui t’es arrivée. Ça a dû être une terrible épreuve… Fairbanks est loin d’être une ville tranquille… On a notre lot de mésaventures nous aussi..." Je croise le regard de Clara, songeant à toutes les galères que nous avons traversé ces dernières années. J’en viens à me demander comment nous avons fait pour survivre jusqu’à présent ! Sans doute parce que nous avons toujours pu compter les uns sur les autres pour nous protéger mutuellement.

En parlant de protecteur, Gabriela nous apprend qu’elle connaît Stefan et, bien que je ne doive pas tirer de conclusions hâtives, je ne peux m’empêcher de froncer les sourcils lorsqu’elle fait son éloge. Ma jalousie revient au galop et je me fais violence pour ne pas lui faire subir un interrogatoire ! Stefan ne m’a jamais parlé de cette fille. Pourtant, il a travaillé avec donc ça serait logique qu’il l’évoque au moins une fois ! Je connais de noms la plupart des mecs avec qui il bosse mais étonnement, il s’est bien gardé de me dire qu’il avait collaboré avec une femme aussi sublime ! Je suis pratiquement certaine qu’elle ignore que Stefan a une petite-amie ! Notre relation étant déjà difficile en ce moment, je sens que cette histoire ne va pas arranger nos affaires !

"Oui, Stefan est incroyable…" marmonné-je en ravalant ma colère grandissante. Il me faut un verre pour me calmer les nerfs.

"Ça vous dit d’aller au stand de vins et de bières ? Y a une dégustation gratuite et j’ai besoin d’un verre après ce churros !" Et cette révélation !

D'après Gabriela, la raison de l'attaque de vampires sur l'hôpital était uniquement due au fait que ses auteurs cherchaient à mettre la main sur les réserves de sang. Compte-tenue des faits, je trouvais surprenant qu'ils se soient donné tant de mal au lieu de simplement saigner les personnes présentes ! Quittes à être violents, pourquoi se contenter uniquement de sang réfrigéré en poches ?

Étrange... A moins que la faim ne leur ait fait perdre tout raisonnement logique. Je savais que les vampires pouvaient eux aussi devenir cinglés face au fluide vital. Je me notais cependant de lire les rapports sur l'incident, peut-être y avait-il autre chose derrière cela ?

Heureusement que les docteurs de Fairbanks étaient plein de ressources. Bien obligé ici, mais je n'osais pas imaginer la terreur qui avait pu s'emparer d'elle et de ses collègues sur le moment. Enfin... Je ne pouvais nier ne pas avoir eu ma part en la matière, moi aussi. Gabriela nous assurait que la police avait pu appréhender la plupart des vampires.

Une phrase qui ne me rassurait qu'à moitié. Est-ce que cela signifiait que d'autres couraient encore ? Cette idée ne me plaisait pas vraiment. J'avais m'être convaincue que revenir à Fairbanks serait plus sûr à présent, je ne pouvais pas oublier que ce n'était pas exactement comme avant. Lukas n'était plus un vampire, et même si lui tout comme moi étions capables de nous débrouiller, faire face à des êtres surnaturels s'annonçait plutôt compliqué...

Je ne pouvais plus compter sur Will non plus depuis sa disparition. Avoir un ami chasseur avait tout de même été rassurant à l'époque, en dépit des problèmes que cela m'avait également apporté... Je me demandais cependant si celui que Sofia et moi avions surnommé "The Arrow" était toujours dans la région.

Mon amie démontra une empathie sincère envers l'épreuve qu'avait subie la médecin, appuyant l'idée que la ville n'était pas des plus paisibles à vivre. Ce à quoi je ne pus qu'acquiescer. En y repensant, ce n'était pas seulement grâce aux chasseurs, aux vampires et autres personnages puissants que nous étions toujours là pour en parler. Mais aussi parce que nous ne nous étions jamais laissées faire.

Curieusement, j'avais l'impression que Gabriela était de la même trempe. C'était malheureux que son expérience à Fairbanks soit entachée par cet incident, mais la ville avait également ça de bon, en ce qu'elle nous permettait de nous découvrir une force et un courage qui pouvait être jusque-là insoupçonnés.

La jolie blonde nous apprit alors avoir précédemment travaillé avec le petit-ami de Sofia, m'assurant que j'avais intégré une solide équipe en rejoignant les forces de polices de la ville. Elle ignorait bien sûr, que nous nous connaissions depuis longtemps maintenant. Néanmoins, ce fut la réaction de mon amie qui m'interpella alors qu'elle grommelait entre ses dents avant de rapidement nous proposer d'aller prendre un verre un peu plus corsé.

J'acquiesçais en enjoignant Gabriela à nous suivre. Je profitais des quelques mètres qui nous séparaient du stand en question pour prendre Sofia à part à voix basse.

- "Hey je connais ce regard ! Relaxe un peu, et arrête de t'imaginer des choses !" lui glissais-je pour qu'elle seule m'entende.

Je la connaissais bien, peut-être mieux que moi-même ! Je savais que son esprit devait s'inventer tout un tas scénarios à cet instant. Or j'étais convaincue qu'il n'y avait rien à suspecter. Il s'agissait uniquement d'une affaire d'après la médecin, sûrement dans le cadre d'une expertise médicale. Donc il y avait fort à parier que leur collaboration n'avait rien eu de très glamour !

Une fois au stand de vin et bière, je laissais Sofia prendre nos commande, optant pour un rosé rafraîchissant avant de reporter mon attention sur la blonde.

- "A dire vrai Gabriela, avec Stefan et Sofia on se connaît depuis un moment. Nous étions au lycée ensemble. Et quand il a rejoint l'académie de police, toutes les deux nous avons continué à la fac du coin. Et surtout, Sofia et lui sortent ensemble depuis plusieurs années maintenant. Bref, quand on y penses, tout le monde connaît un peu tout le monde ici ! " l'informais-je finalement avec un sourire amusé, avant de récupérer mon verre gratuit des mains de mon amie.

Les filles me confirment à tour de rôle que nous ne vivons effectivement pas dans une des villes les plus paisibles, et je ne pouvais que constater qu’elles avaient certainement affronter des épreuves difficiles aussi en surprenant leur échange de regard.

J’ignorais depuis combien de temps elles se connaissaient toutes les deux, mais j’avais bien l’impression qu’elles avaient eu l’occasion de vivre suffisamment de galères pour se rapprocher et se connaître davantage.  

Nous abordons finalement le sujet de l’attaque de l’hôpital mais pas suffisamment longtemps pour me faire replonger dans mes cauchemars. Je crois bien qu’elles saisissent toutes les deux que je n’ai pas forcément envie de m’épancher plus que nécessaire sur le sujet.

C’est finalement l’équipe du département d’investigations surnaturelles de la police qui arrive sur le tapis et l’occasion qui m’a été donnée de collaborer avec Stefan Baker.  Je ne remarque pas vraiment le grommellement de Sofia qui n’est pas ravie à l’idée de savoir que lui et moi nous connaissons.

Ce n’est que lorsque nous arrivons au stand de vin, et que Clara me met au parfum de la relation entre l’inspecteur et la belle brune que je comprends l’éventuel quiproquo qui pourrait s’installer. J’adresse alors un sourire rassurant à Sofia :

- Oh je vois ! C’est super vous faite un charmant couple. Ravie de rencontrer la compagne de Stefan dans ce cas !

Je me détourne quelques minutes pour commander la même chose que Clara, remerciant la personne qui tient le stand d’un hochement de tête lorsqu’elle me tend mon verre. On ne pouvait pas dire que le service n’était pas efficace !

Il y’a tellement de monde que les commandes pleuvent les unes à la suite des autres, d’autant plus que c’est gratuit alors forcément, ça ramène du monde. Il n’y a pas à dire, la ville a vraiment organiser de belles festivités cette année et je suis ravie de pouvoir y participer.

- Alors comme ça vous vous connaissez depuis longtemps ? Vous êtes toutes les deux nées ici ?

Stefan ne m’a jamais parlé de Gabriela, ni de l’enquête qui leur avait visiblement permis de se rencontrer. Et de se rapprocher ? Contrariée par cette découverte, il me faut un verre pour encaisser la nouvelle et décompresser. La jeune médecin n’y est pour rien dans le fond, elle semble ignorer que ce cher inspecteur est en couple…

En route vers le stand de vins et de bières pour profiter d’une dégustation gratuite, Clara me prend à part et me demande à voix basse de me détendre et d’arrêter de me faire des idées à propos de Stefan et de Gabriela. Je sais qu’elle a raison mais c’est plus facile à dire qu’à faire, notamment à cause des tensions qui règnent dans notre couple en ce moment. J’opine quand même de la tête, promettant de faire un effort.

Nous arrivons au stand et je passe commande pour Clara et moi pendant que cette dernière s’entretient avec Gabriela. Je prends une pression pour moi et un verre de rosé pour mon amie. Lorsque je me retourne pour donner son verre à la new-yorkaise, les deux jeunes femmes m’adressent un sourire et je soupçonne Clara d’avoir plus au moins vendu la mèche auprès de la médecin. Je pourrais l’étrangler pour ça mais, en réalité, je lui suis reconnaissante d’avoir crevé l’abcès.

Gabriela trouve d’ailleurs que Stefan et moi formons un couple charmant. Si seulement c’était aussi idyllique qu’il n’y paraissait entre nous… Je la remercie néanmoins. "Merci, c’est gentil. Je suis ravie également." Cette fois je suis sincère, je n’aurais pas dû m’emporter aussi vite. Je pensais contrôler ma jalousie mais chasser le naturel et il revient au galop comme on dit !

Une fois que nous sommes toutes servies, nous laissons la place aux autres clients et nous décalons légèrement sur le côté. Gabriela profite de cet instant pour nous demander si Clara et moi nous connaissons depuis longtemps et si nous sommes de la région.

"On se connait depuis le lycée, on était dans la même classe ! Ça doit faire bientôt dix ans je crois !" réalisé-je avec un sourire pour mon amie.

"Je pense que c’est l’Univers qui nous a réuni, sachant qu’on est pas originaires du coin à la base. Je suis née en Bulgarie, puis j’ai vécu quelque temps à Manhattan avant d’atterrir à Fairbanks. Je devais avoir dix ou onze ans environ." précisé-je, laissant ensuite Clara expliquer son parcours de vie à Gabriela.

Heureusement, suite à mon intervention discrète, Sofia relâcha quelques peu la pression. Je savais comment mon amie pouvait partir au quart de tour, et ce depuis que j'ai manqué de ruiner sa tenue, lors de notre première rencontre à la soirée de la Saint-Valentin organisée au lycée de Fairbanks, des années plus tôt ! En y repensant, j'avais failli commettre la même gaffe avec Gabriela aujourd'hui. Décidemment ! Je n'étais pas la plus adroite avec un verre à la main ! Peut-être que ce verre d'alcool n'était pas recommandé finalement !

Quoiqu'il en soit, la jolie blonde était ravie de rencontrer la partenaire de l'officier avec lequel elle avait eu l'occasion de travailler. A ce rythme, elle aussi connaîtrait bientôt tout le monde à Fairbanks ! Évidemment, j'exagérais. La ville comptait après tout, plusieurs milliers d'habitants.

La médecin voulut alors savoir depuis combien de temps Sofia et moi nous nous connaissions. Et si nous avions toujours vécu ici. Ironiquement, non, mais c'était peut-être ce qui nous avait rapprochées. Mon amie expliqua que notre rencontre datait du lycée, et que cela remontait déjà à une dizaine d'années ! Que le temps passait vite ! Trop vite...

J'opinais en buvant une gorgée de vin tandis que Sofia poursuivait en synthétisant son parcourt depuis la Bulgarie jusqu'à Fairbanks. Dommage que nous ne nous soyons pas rencontrées à l'époque où nous vivions toutes les deux à New-York ! A moins que nous ne nous soyons croisées sans nous en rappeler. Il faut dire que nous étions très jeunes à cette époque.

- "Effectivement, je ne viens pas du coin non plus. Je suis née et j'ai grandi à New-York avant d'en partir l'année de mes dix-huit ans pour atterrir ici après que mon père ait été déployé dans le Pacifique Nord. Il est dans la Navy." précisais-je.

- "Après les évènements qui ont touché Fairbanks il y a quelques années, je suis repartie vivre à New-York, tout en continuant à rendre visite régulièrement à mes parents et à mes amis ici. Mais là je suis revenue définitivement. Avec mon mari on voulait un cadre moins oppressant pour élever notre fils. Et puis je dois dire que je me sens plus chez moi ici que n'importe où ailleurs !" conclus-je avec un grand sourire.

- "Et toi Gabriela ? Je pense ne pas me tromper en supposant que tu n'es pas de la région non plus pas vrai ? Non pas que je sois familière de tous les médecins de la ville !" repris-je en riant légèrement. "Est-ce que tu as de la famille dans le coin ?" demandais-je à mon tour, un peu curieuse de savoir ce qui l'avait poussée à s'installer.

A moins que je ne sois complètement à côté de la plaque ! Si cela se trouvait Gabriela vivait ici depuis toujours. Auquel cas j'allais passer pour la gaffeuse de service ! Heureusement que je pourrai toujours me noyer dans mon verre à ce moment-là ! Et avec la luminosité ambiante qui commençait à décliner en même temps que le soleil qui disparaissait déjà, on ne me verrait peut-être pas rougir d'embarras ! D'ailleurs, les animations nocturnes n'allaient sans doutes plus trop tarder.

J’écoute les deux brunes me parler de leurs histoires personnelles et communes avec intérêt, tandis que le soleil décline lentement à l’horizon. Je comprends rapidement qu’elles connaissent bien la ville et ont eu leur lot d’aventures ensemble, pourtant elles ne sont pas originaires de Fairbanks.

Clara et sa famille se sont réinstallés définitivement en ville récemment et c’est plutôt une bonne chose pour la ville puisqu’elle a pu renforcer les rangs de l’équipe de Stefan !

Et s’il y a bien une chose que l’on peut dire, c’est que le paranormal génère pas mal de boulot dans le coin. La présence de créatures magiques, je l’ai appris à mes dépens est particulièrement florissante et en constante expansion. J’ai tendance à oublier qu’il est plus prudent de rester en alerte et sur mes gardes, que de faire comme si elles n’existaient pas.

Légitimement, Clara m’interroge à son tour sur mes origines et je tente de dissimuler le petit frisson qui coure sur ma peau lorsqu’elle évoque ma famille.
Ce n’est pas un sujet que je peux me permettre d’évoquer librement et les souvenirs liés à ce qui s’apparente à ma famille provoquent chez moi bien plus de dégoût que de bonheur.  Je reste alors évasive sur ma réponse :

- Non effectivement, je ne suis pas de la région ! J’ai quitté ma famille il y a une dizaine d’années pour rejoindre les terres de Fairbanks, et j’ai décidé de passer tout mon temps libre la tête dans des bouquins quand ce n’était pas des corps ! Je plaisante, mais mon internat et mes études de médecines ne furent pas de tout repos alors j’avoue ne pas avoir eu l’occasion de me faire beaucoup d’amis.

Je plonge la tête dans mon verre que je vide d’une nouvelle gorgée avant de reporter mon attention autour de nous, le sourire aux lèvres. Le soleil a maintenant quitté le ciel et la nuit s’est installée tranquillement pendant que nous discutions. Les lumières de la ville s’allument les unes après les autres et l’atmosphère devient différente.

Bien sûr, les festivités sont loin d’être terminées, de la musique se fait entendre un peu partout tandis que de nouveaux groupes se mettent en place pour dispenser de nouveaux concerts. Pendant ce temps, les hauts parleurs de la ville laissent retentir une voix puissante qui indique un compte à rebours de 2h avant le début du magnifique feu d’artifice qui sera tiré par la ville.

Comme tout le monde ici, j’ai hâte de voir ça ! Je propose alors aux filles de passer encore un peu de temps ensemble.

- Est-ce que ça vous dit d’aller gouter un hot-dog avant que le feu d’artifice commence ? On pourrait le regarder ensemble ?

J’espérais ne pas les indisposer par ma compagnie, mais en même temps, j’appréciais vraiment ce moment !

Gabriela nous interroge sur l’amitié qui nous lie, Clara et moi, ainsi que sur nos origines. Je réalise que la new-yorkaise et moi sommes amies depuis près de dix ans, ce qui ne nous rajeunit pas ! Le lycée me paraît tout à coup tellement loin. Nous avons vécu tant de choses ensemble au cours de cette décennie qu’il nous faudrait des heures pour conter à la jeune médecin nos aventures.

Quant à nos origines, j’explique à la jeune femme mon parcours avant mon arrivée à Fairbanks il y a de ça environ quinze ans. Je laisse Clara en faire autant, sachant qu’elle était plus âgée que moi lorsqu’elle a débarqué en ville. Après la guerre, elle a décidé de repartir à New-York et bien que je comprenais son choix à l’époque, j’espérais un peu égoïstement qu’elle reviendrait un jour ici. Ma meilleure amie m’a énormément manqué durant les années où nous avons été séparées, même si nous avons toujours maintenu le contact. Et puis voir mon filleul en chair et en os plutôt que par écran interposé me remplit d’une joie immense !

Après avoir résumé nos vies, il est temps pour Gabriela de nous en dire plus sur ses origines, du moins si elle le souhaite. Personne ne lui en tiendra rigueur si elle ne veut pas se confier. Après tout, nous nous connaissons peu et dans cette ville, la prudence est souvent de mise. Néanmoins, elle accepte de nous en dévoiler plus sur son parcours de vie et nous apprend avoir quitté sa famille pour venir à Fairbanks afin d’étudier la médecine. Elle n’en dit guère plus et au premier abord, elle paraît plutôt solitaire. Mais peut-être est-ce simplement son métier qui veut ça. Avec les journées qu’elle doit avoir à l’hôpital, difficile de tisser des relations au dehors.

La nuit est tombée bien vite, sans que l’on s’en rende vraiment compte à force de discuter, et le soleil se couche pour laisser la place aux illuminations et animations nocturnes. Il reste deux heures avant le feu d’artifice et Gabriela propose d’aller manger un hot-dog avant d’assister au spectacle. L’idée est terriblement séduisante, d’autant que je commence à mourir de faim ! Je termine mon verre d’une traite avant de me mettre en route vers le stand.

"Bonne idée ! Allons-y vite avant qu’il n’y ait trop la queue !" suggéré-je en pressant le pas comme si j’allais m’évanouir si je ne mangeais pas rapidement !

La foule commence à s'amonceler autour des stands de nourriture et nous nous frayons un chemin jusqu’à celui des hot-dogs, dont l’odeur alléchante fait gargouiller mon ventre. J’en commande trois et décide d’inviter les filles en glissant un billet de 20 dollars au vendeur.

Une fois servi, je propose d’aller nous installer sur un banc libre pour manger sans nous faire bousculer. Je consulte mon téléphone. Aucune nouvelle de Stefan... Ma mine s’assombrit. J’avais espéré qu’il proposerait de me rejoindre pour les animations nocturnes mais une fois de plus je me suis fourvoyée. Dépitée, je range mon portable et décide tout de même de profiter du reste de la soirée qui défile à toute allure, si bien qu’après avoir dîner et déambuler dans les rues, nous revenons sur la place centrale pour assister au lancement du feu d’artifice. C’est rapidement bondé et nous devons nous coller les unes aux autres pour rester grouper.

Minuit sonne enfin et nous levons les yeux vers le ciel pour profiter du spectacle.

Soudain, un vent glacial me saisit alors qu’aucune feuille d’arbre ne semble bouger autour de nous. Un frisson me remonte l’échine et je sais. En tant que banshee, je sais que dans moins d’une minute, ce sera un véritable bain de sang. Dans quelques secondes, le sang inondera à nouveau notre ville. Les larmes dévalent mes joues car je sais et je ne peux rien empêcher. Je suis une messagère de la mort et je ne peux empêcher le destin de réclamer son dû… Au premier feu tiré dans les airs, je hurle car la Mort vient de frapper…